Mais, je me demande aussi pourquoi les lettres mettent tant de tant à venir.
Depuis le 10 avril, Emile Moureu est à Joinville-le-Pont, élève-aspirant à l'École d'Instruction Militaire des officiers. Ses lettres à sa soeur et à ses parents font le récit de son quotidien militaire et, lors des moments de loisir et de temps libre, de ses visites à Paris et ses environs.
Joinville, 26. - 9 heures du soir
Chère soeur,
Enfin, j'ai reçu, à la distribution de 9 heures la longue et si désirée lettre de là-bas. Comme le temps paraît long sans nouvelles ! Mais, je me demande aussi pourquoi les lettres mettent tant de tant à venir. Je suis très heureux que vous ayez reçu des nouvelles de Pierre. Je voudrais bien pouvoir lui écrire quelques lignes, mais il nous a été absolument interdit par le commandant d'écrire aux prisonniers de guerre. Mais, dans vos lettres, transmettez-lui toute mon affection, et tout mon espoir, - à peu près certain d'ailleurs - de contribuer à sa délivrance ! Je viens de recevoir en même temps une lettre de Lamaison, qui, au lieu de s'envoler au beau et lointain pays de Turquie, est allé échouer dans une tranchée. Dans ta prochaine lettre, chère soeur, parle-moi un peu des conscrits de Sauveterre. Se trouvent-ils bien dans leurs casernes ? Vous me demandez des détails sur nos costumes ? Mais nous possédons une délicieuse capote bleu ciel, et dans quelques jours d'ici, nous aurons vestes, culottes et même molletières bleues horizon. Pour le moment nous en avons la capote et le képi, et dimanche fait huit jours , - car hier, nous n'avons pas pu aller à Paris - nous y avons fait sensation. On ne voyait sur le grand boulevard des "Italiens" que les 3000 "bleus" de Joinville et St Cyr, - et puis des figures si jeunes ! Pour une fois, on a été bien "zyeuté". Notre vie, toujours la même, toujours active, toujours absorbante. J'avais oublié , - et c'est un oubli bien malheureux - de vous dire que la veille de mon départ de Toulouse, j'avais été voir les parents des Salier, qu'ils avaient été fort gentils pour moi et un de mes camarades, et que nos valises y sont en dépôt ! Allons, je vais aller me coucher, et rêver un peu de notre beau Midi, qui ne sera jamais égalé par le Nord, même à Paris. Mille baisers à tous et le bonjour aux Castéran qui ont mis un mot sur l'enveloppe de la lettre. N'oubliez pas la compagnie : 1ère.
Frère et fils aimant, Emile.
Écouter la lettre du 26 avril 1915