Dans cette guerre moderne, aucun des instincts de l'homme n'est satisfait :...
Depuis le 10 octobre, Émile et son régiment sont sur le front de Verdun et ses tranchées boueuses, alternant périodes en première ligne et en réserve.
Sœurette,
J'ai reçu ta lettre douce, d'une douceur grise et enveloppante comme un brouillard de tendresse, lettre automnale avec la tristesse des absences et des feuilles qui tombent. Toujours dans nos trous, boueux et courbaturés. A certains moments, sœurette, je suis terriblement fatigué de cette vie-là. Que veux-tu ?
Dans cette guerre moderne, aucun des instincts de l'homme n'est satisfait : vie de privations constante, de fatigues, de tensions, sans ces bonnes vieilles ripailles de l'ancienne bonne guerre, sans cette attirance de l'inconnu des guerres de l'Empire : Tout est connu ici, parce que tout est un désert bouleversé de boue et de cadavres.
Tu me dis que Carrive a été blessé : ce doit être près d'ici parce que son régiments nous a remplacé dans un coin très mauvais où l'on est resté quelques jours. As-tu des nouvelles de Pierre et d'Henri ? Henri parle-t-il de sa permission ? Pour ma part, si tout va bien, j'espère venir dans un mois à peu près, peut-être avant. Vivement, grand Dieu ! Le brouillard tombe épais sur nous ; comme les nuits sont longues, quand il faut les veiller !
Le délicieux colis est arrivé intact, et tout est exquis.
Sœurette, embrasse mes aimés et reçois mes bons baisers, Émile.
Écouter la lettre du 20 novembre 1917