Mais, voyons, secouons un peu ce sérieux plutôt triste. Demain c'est dimanche, [...]. Et puis, quoi ! La Classe 16 est là, et gare les Boches !
Depuis le 10 avril, Emile Moureu est à Joinville-le-Pont, élève-aspirant à l'École d'Instruction Militaire des officiers. Ses lettres à sa soeur et à ses parents font le récit de son quotidien militaire et, lors des moments de loisir et de temps libre, de ses visites à Paris et ses environs.
Chère maman,
Je viens de recevoir ta lettre m'apportant beaucoup de nouvelles du pays, mais beaucoup trop de tristes. Que de morts, que de malheurs ! Mais il ne faut pas maintenant regarder tomber, il faut s'apprêter à tomber, et fièrement ! C'est par ta lettre seule que j'ai appris la mort du pauvre Bémia. Je n'ai pas, encore du moins, reçu la lettre d'Anna. Ici, pas grand'chose de nouveau, sinon que l'état général, sans être grave, n'est pas merveilleux. A notre âge, avec les fatigues imposées, ceux qui sont un peu faibles, tombent : deux de nos camarades sont morts. Les résistants se fortifient au contraire, et jusqu'à présent, je suis du nombre. Il faut d'ailleurs, comme on nous le dit, faire une sélection dans les jeunes classes. On leur demande beaucoup, parce qu'elles auront beaucoup à supporter. Nous le voyons dès maintenant, quand nous faisons vingt kilomètres à peine sous le soleil, et que sera-ce en juillet août ?
Pour le moment, la situation militaire n'est pas excellente. Les parents d'un de mes camarades habitant Dunkerque sont arrivés aujourd'hui à Paris, disant que Dunkerque est intenable, ce qui prouve une avance d'une vingtaine de kilomètres de l'armée allemande, car ce n'est pas la flotte.
Mais, voyons, secouons un peu ce sérieux plutôt triste. Demain c'est dimanche, et nous pourrons aller sans doute à Vincennes.
Et puis, quoi ! La Classe 16 est là, et gare les Boches !
J'ai reçu ton mandat, chère maman, et il aidera à relever mon ordinaire, qui, sans être mauvais, est parfois insuffisant.
Lundi, nous allons être vaccinés contre la typhoïde : 24 heures de repos. Autant de pris.
Allons, je vous quitte, pour me coucher. Je vous embrasse, de tout coeur en fils et frère,
Emile.
Écouter la lettre du 1er mai 1915