Mais nous avons du feu, malgré les Boches !
Le 1er janvier, après une douzaine de jours de permission à Sauveterre-de-Béarn, Bordeaux et Paris, Emile rejoint son régiment stationné en Lorraine, dans le « pays de Jeanne la Pucelle », dans les villages de Einville, Valhey, Serres, Maixe et Bauzemont, en Meurthe-et-Moselle (près d'Hénaménil et de l'étang de Parroy, au nord de Lunéville et à l'est de Nancy). Les premiers jours, le retour aux armées est moralement pénible, la parenthèse des heures de bonheur en permission difficile à refermer. La dureté de l'hiver lorrain et les longues journées d'attente désoeuvrée entretiennent malgré lui Emile Moureu dans une humeur lourde et cafardeuse.
Ma chère maman,
A travers les intervalles des planches mal jointes de ma "cagna", la bise souffle aigüe et piquante et les flocons de neige viennent nombreux et furieux vous piquent l'épiderme comme des milliers de petites épingles. Mais nous avons du feu, malgré les Boches ! Nous sommes bien un peu enfumés mais on s'y fait, et le temps passe lentement dans ces plaines neigeuses où l'on ne voit plus de tranchées, parce que la neige les comble.
Et d'ici, le cher petit coin de là-bas m'apparaît comme un paradis, comme un pays de rêve et de bonheur. Et cependant, il fait peut-être très froid aussi !
Avez-vous des nouvelles de Pierre et d'Henri ? Parlez-moi de tout et de tous, c'est notre vie à nous que l'écho de la vie de là-bas.
Chère maman, tu pourras m'envoyer un petit colis de beurre, saucisson et cigarettes.
Adieu, chers aimés, je vous embrasse de tout cœur, Émile.