Hier une longue lettre d'Anna et de Jane ; aujourd'hui une lettre de toi ! Je suis favorisé, ...
Le 24 juillet Émile rentrait de permission à Sauveterre-de-Béarn et retrouvait son régiment toujours au repos à l'arrière, à Chambors dans l'Oise. Dès le 27 juillet cependant, tous repartaient en direction de Tracy-le-Val, quelques kilomètres à l'est de Compiègne dans un secteur plus près du front mais a priori relativement calme à la limite de l'Oise et de l'Aisne
.
13 août 1916.
Chère maman,
Hier une longue lettre d'Anna et de Jane ; aujourd'hui une lettre de toi ! Je suis favorisé, et je suis loin de m'en plaindre. J'ai accueilli avec plaisir toute cette "gazette" du petit coin qui me fait revivre quelques instants dans le milieu où vous vivez.
Jugez du militaire d'après ce nouveau fait : l'affectation "des bleus" : un télégraphiste de profession bombardé simple bibi, et un jeune homme des plus légers, versé dans la lourde ! (Remède tout indiqué pour les femmes légères !) après ça, me diras-tu encore, sœurette, que le monde n'est pas régi par la loi des contrastes ? N'engageons d'ailleurs pas de haute discussion, je ne pourrais plus te suivre dans ces régions éthérées, je vis trop terre-à-terre, et même dans la terre.
Pauvre frère ! Je comprends fort bien son serrement de cœur, son mouvement de lassitude : à l'heure actuelle, si la volonté n'intervient pas (volonté de pur je m'enfichisme), le cœur se serre tout seul – mais on allume une cigarette de plus, et on regarde monter la fumée. Je veux écrire deux mots à Jane dans la même lettre.
Aussi, je te quitte, chère maman, en t'embrassant de tout cœur,
Émile.
Ma chère Jane,
Merci pour vos lignes si affectueuses, je me fais un devoir d'y répondre immédiatement.
D'abord, rassurez-vous au sujet de votre correspondance : elle m'est toute parvenue. Je suis heureux que vous ayez trouvé nos Pyrénées toujours aussi belles, et leur air toujours aussi pur, et je ... vous envie un peu.
Involontairement, mon esprit revient sur le passé, et je songe à ces belles vacances qui nous voyaient tous réunis. Ah ! Les belles parties de croquet dans le verger, les charmantes promenades d'un côté et d'autre ! Le passé heureux laisse tomber sur le triste présent une poussière de regret qu'on a beau secouer : il en retombe toujours un peu. Secouons-la bien pourtant...
Adieu ma chère Jane, jouissez de mon beau pays. Toutes mes amitiés,
Émile.
Écouter les lettres du 13 août 1916