Je n'ai pas encore reçu de réponse au sujet de mon petit ami. J'ai bien peur pour lui, ...
Incorporé au 133e Régiment d'Infanterie de l'Est, Émile est sur le front de la Somme près de Péronne depuis le 21 août quand il est victime d'une légère blessure à la tête causée par un éclat d'obus, lors d'un assaut donné dans la nuit du 11 au 12 septembre 1916 à Bouchavesnes-Bergen (Somme). Il est évacué du front et envoyé en soins et convalescence le 15 septembre à l'hôpital militaire de Chartres, rue de Bonnard.
26 septembre 1916.
Chers aimés,
Je viens de recevoir à l'instant votre chère lettre. Je suis heureux d'apprendre que vous voilà enfin tout-à-fait rassurés grâce aux détails donnés par Jane. Je vais de mieux en mieux, je suis bien soigné, donc plus d'inquiétude à mon sujet. Les lettres adressées au SP 194 ne me sont pas parvenues, quoique j'ai envoyé mon adresse à la compagnie. J'avais reçu le jour avant l'attaque la lettre contenant le mandat, j'avais gardé le mandat que j'ai fait toucher ici. Seule, la montre, m'embête. Mais je crois que les colis des évacués sont renvoyés au dépôt qui doit les diriger sur le destinataire ou sur l'expéditeur. Elle voyagera peut-être longtemps, mais elle ne sera pas perdue.
A la réflexion, l'incident dont me parle sœurette, appelons-le si vous voulez, "l'incident du pasteur", ne valait pas certainement une lettre. Et c'est sur le moment, avec ma vivacité ordinaire, que j'ai pondu ces quelques lignes où, certes, je n'avais nullement l'intention de me plaindre de quoi que ce soit, mais plutôt de rire et de faire rire. Enfin, l'incident est clos ! Tu me dis, chère maman, n'avoir pas d'autres nouvelles de mon frère. A-t-il écrit depuis ? Renseigne-moi, et dis-moi bien tout ce qu'il raconte.
Je n'ai pas encore reçu de réponse au sujet de mon petit ami. J'ai bien peur pour lui, et il me tarde de recevoir la lettre de là-bas.
Ici, il fait un temps magnifique je vais aller faire un tour dans le jardin, qui est fort beau. L'offensive a repris dans la Somme, je ne m'étonnerais pas de voir sous peu, en gros caractères, la prise de Combles et puis celle de Péronne. Certainement nous réussirons, l'infanterie atteindra toujours son but, parce que l'artillerie atteint le sien. Il faut envisager l'offensive comme une suite de bonds, mais entre chaque bond, il y a des jours entiers où les obus doivent tomber comme grêle, tout démolir, et les batteries boches (qui démolissent notre infanterie) et les fantassins qui, non démoralisés, arrêteraient nos troupes, et le terrain : raser les bois, bouleverser les crêtes, détruire les fortins, etc. Et c'est parce que l'artillerie fait tout ce travail, que l'infanterie peut marcher et qu'elle marche.
Adieu, chers aimés, recevez les bons baisers d'Emile.
Écouter la lettre du 26 septembre 1916