Donc, vers 6 heures du soir, il était encore sain et sauf. Dans la nuit, que lui est-il arrivé ?
Incorporé au 133e Régiment d'Infanterie de l'Est, Émile est sur le front de la Somme près de Péronne depuis le 21 août quand il est victime d'une légère blessure à la tête causée par un éclat d'obus, lors d'un assaut donné dans la nuit du 11 au 12 septembre 1916 à Bouchavesnes-Bergen (Somme). Il est évacué du front et envoyé en soins et convalescence le 15 septembre à l'hôpital militaire de Chartres, rue de Bonnard.
24 sept.
Chère maman,
J'ai reçu hier au soir la lettre d'Anna, qui me demande beaucoup de détails. Mes lettres de ces derniers jours ont dû vous renseigner : ma blessure n'a qu'un défaut : elle guérit trop vite !
J'ai appris avec beaucoup de peine que mon petit ami de Caresse n'avait pas écrit depuis le 12. Comme Tous les renseignements que je puis donner à son sujet, les voici : "La nuit avant l'attaque, c.à.d. la nuit du 11 au 12, je suis sorti de mon trou, et j'ai poussé jusqu'à l'emplacement de sa compagnie. Je l'ai vu, nous avons causé qq instants fort gaiement, et on s'est souhaité bonne chance. Après l'attaque, je ne l'ai pas vu personnellement, mais j'ai demandé à un de ces camarades. Donc, vers 6 heures du soir, il était encore sain et sauf. Dans la nuit, que lui est-il arrivé ? Je ne pourrais le dire, ayant été moi-même atteint, et notre compagnie manœuvrant indépendamment de la sienne. Mais, j'écris aujourd'hui même à un de mes camarades, sergent à sa compagnie, pour qu'il se renseigne à son sujet, et m'envoie tous les renseignements, quels qu'ils soient. Je serais très étonné que ce pauvre petit soit prisonnier, car de la façon dont la bataille a tourné, nous ne devons pas avoir eu de prisonniers. A mon avis, il est peut être blessé gravement, ou malheureusement être resté sur le terrain : il en est tellement resté !!
Aujourd'hui, c'est jour de sortie. Vers onze heures, je sortirai, et je dérouillerai un peu mes jambes jusqu'à 5 heures. Resterais-je assez longtemps encore à cet hôpital ? Je ne le crois pas. Mais de toutes façons, d'ici, je suis évacué sur une autre formation sanitaire. N'ayez aucune inquiétude à mon sujet : je ne souffre pas du tout et j'ai retrouvé ma belle "forme" d'autrefois. Il n'y a que la cicatrice au-dessus de l'œil gauche qui paraît un peu, mais c'est bien fermé, et çà disparaîtra peu à peu.
Je te quitte, chère maman, en t'embrassant de tout mon cœur de fils,
Émile
P.S. : Aussitôt reçus, j'enverrai les renseignements au sujet de Perreuilh, je serais réellement peiné, s'ils étaient mauvais !
Émile.
Écouter la lettre du 24 septembre 1916