D'abord, je veux te rassurer : le cours des grenadiers est terminé, on ne lance plus de grenades, et aucun accident n'est arrivé, du moins au 14.
Au terme de deux mois de cantonnement et de préparation militaire à Grenade-sur-Garonne Émile Moureu et les autres conscrits de la Classe 1916 affectés au 14e d'Infanterie de Ligne reçurent, le 30 novembre l'ordre attendu autant que redouté du départ pour le front. Après quelques jours à Toulouse puis de voyage en train, le régiment prenait garnison à Brimeux dans le Pas-de-Calais le 6 décembre 1915.
Ma chère maman,
Je viens de recevoir ta lettre avec celle de Pierre, et j'ai lu l'une et l'autre avec un égal plaisir.
D'abord, je veux te rassurer : le cours des grenadiers est terminé, on ne lance plus de grenades, et aucun accident n'est arrivé, du moins au 14.
Je ne puis encore rien préciser au sujet de ma permission. Les départs commenceront paraît-il à partir le 10 mars. Mais partirons-nous en masse ? Sûrement non. Dans quelle proportion ? On ne sait encore. Dans tous les cas, soyez bien sûrs que vous serez prévenus aussitôt que je le saurai. Un tel bonheur doit se partager immédiatement.
J'ai lu et relu la lettre de mon cher frère, où il se peint tout entier, avec ses alternatives de lassitude et d'espérance, ses tendances, bien naturelles, à essayer de reprendre un peu de la vie d'autrefois, ses retours vers le passé qui aurait pu être si différent, et ses envols vers l'avenir.
Je suis très heureux, sœurette, qu'il te taquine un peu, non pas pour la taquinerie elle-même (loin de moi cette pensée !!!) mais pour son état d'esprit. Et au fait, sœurette, au cas où tu lui enverrais de nouveau quelques livres, laisse-moi te donner quelques conseils : à côté de livres pleins de vie et de psychologie (des romans de Bourget, par exemple, ou un peu d'Ollé-Laprune) place quelques volumes amusants (Tartarin), quelques résurrections intéressantes (Quo Vadis ou Aphrodite). Tu diras que moi aussi, je me complais au petit couplet pédagogique, mais tu m'excuseras en songeant que la littérature était mon faible autrefois. Tu transmettras à François Mareau tous mes souhaits de bonne convalescence et de long séjour au dépôt.
Adieu, chère maman, cher papa, sœurette, je vous embrasse de tout cœur en attendant l'heureux jour, prochain pour moi, où j'aurai le plaisir de revivre dans la chère vieille maison, à côté de mes aînés et du vieux fusil dont parle Pierre. Émile.
Écouter la lettre du 16 février 1916