Faible, fiévreux les premiers jours, sans grand appétit, me voici gaillard comme devant, je dévore, et je reprends mes couleurs ...
Incorporé au 133e Régiment d'Infanterie de l'Est, Émile est sur le front de la Somme près de Péronne depuis le 21 août quand il est victime d'une légère blessure à la tête causée par un éclat d'obus, lors d'un assaut donné dans la nuit du 11 au 12 septembre 1916 à Bouchavesnes-Bergen (Somme). Il est évacué du front et envoyé en soins et convalescence le 15 septembre à l'hôpital militaire de Chartres, rue de Bonnard.
29 septembre 1916
Ma chère maman,
Il pleut, la journée paraît bien longue, pas moyen de descendre au jardin, et nous sommes tous à tourner dans la chambre comme lions en cage !
En cage... pas pour longtemps : je vais quitter cet hôpital dans quelques jours, pour aller sans doute, à Chartres même, à une formation de convalescents.
Je puis donc compter que dans huit à douze jours, nous aurons le plaisir de nous trouver réunis, peut-être plus tard – plus tôt, je ne le crois pas. Ah ! C'est beau, la jeunesse ! Ca vous remet un homme sur pied en un rien de temps. Faible, fiévreux les premiers jours, sans grand appétit, me voici gaillard comme devant, je dévore, et je reprends mes couleurs – et je suis sûr que vous me trouverez magnifique ! Pas de lettres depuis deux ou trois jours, ça m'étonne. Peut-être, ce soir y en aura-t-il. Quel temps fait-il dans notre délicieux petit coin ? Je me vois, au moindre petit froid, m'enfoncer dans un coin du grand foyer (quand je ne m'implante pas au milieu !) et recherchant furieusement les chaises basses. C'est qu'il me faudra faire provision de calories pour l'hiver, ça pourra me servir, ne nous illusionnons pas trop.
A-t-on commencé à labourer par chez nous, cher papa, et la terre ne se montre-t-elle pas trop rebelle ? Toi, sœurette, tu continues sans doute à catéchiser des moutards quelque peu morveux, et à patronner des jeunes filles qui n'ont guère envie de l'être : Félix simplicitas : Heureuse simplicité ! (On n'oublie pas son latin à la guerre !) Tu m'apparais, sœurette, très à côté, mais très au-dessus de toutes les autres : ce n'est pas une flatterie ! Je veux consacrer quelques lignes aussi à l'absent, à l'exilé qui doit labourer la terre ennemie, et faire croître le blé qui doit nourrir cette sale race. Comme cela doit faire mal de se courber devant des gens qu'on a tenu au bout de son fusil ! Eux par exemple, ça ne leur coûte guère, ils courbent bien l'échine ; mais nous ne sommes pas de leur acabi.
Je vous quitte, chers amis, en vous pressant tous sur mon cœur,
Émile.
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