Si je n'ai pas écrit depuis 2 ou 3 jours, c'est que j'ai eu une bien mauvaise passe. Et toujours ces maudites dents !
Depuis le 6 décembre 1915, le sergent Émile Moureu et ses camarades du 14e d'Infanterie de Ligne sont en cantonnement à l'arrière du front dans le nord, à Brimeux, dans le Pas-de-Calais.
Chère maman,
Je viens de recevoir aujourd'hui deux lettres, la tienne et celle d'Anna, et tu devines avec quels plaisirs j'ai lu tes lignes d'affection, la lettre plus contente de mon aîné, la missive sautillante et un peu babillarde de sœurette, qui sait si bien distraire ses pauvres frères.
Si je n'ai pas écrit depuis 2 ou 3 jours, c'est que j'ai eu une bien mauvaise passe. Et toujours ces maudites dents ! Aussi j'ai juré de faire sauter toutes les mauvaises. Et, à l'instant, je viens de m'appuyer 7 km pour en faire arracher une. C'est fait ! Je n'en dis pas plus long.
J'ai lu et relu cette lettre de Pierre, où l'on sent malgré toute la souffrance morale, beaucoup d'espérance, et où je trouve, moi, sa grande affection de frère.
Adrien Salié, François Mareau, au pays ! Quels veinards ! Il est vrai qu'il y a longtemps qu'ils sont partis, et que mon tour arrivera plus tard. Pouvoir passer quelques jours là-bas, dans ce pays de soleil et de rêve !
Écrivez-moi, écrivez-moi très souvent, je vais aller dormir, j'en ai grand besoin, après 2 ou 3 nuits blanches.
Mille baisers à tous, Émile.
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Écouter la lettre du 18 janvier1916