Soyez tout-à-fait rassurés, je n'ai rien de rien, je me demande toujours pourquoi je suis à l'hôpital.
Sorti de l'École militaire de Joinville-le-Pont à la fin du mois d'août, le sergent Émile Moureu est cantonné à Grenade-sur-Garonne depuis le 20 septembre, avec l'ensemble des conscrits de la Classe 1916 affectés au 14e d'Infanterie de Ligne. Il y découvre la vie en garnison rythmée par les exercices militaires et de combat, dans l'attente impatiente autant qu'inquiète de l'annonce d'un prochain départ pour le front.
Mais après qu'il se soit plaint d'un léger mal de gorge (lettre du 16 novembre) Émile est placé en quarantaine à l'hôpital local (lettre du 18 novembre) : une épidémie de diphtérie est en effet déclarée au sein du régiment...
Cher papa, chère maman,
Je viens de recevoir deux lettres, ce matin, une de maman (avec la carte de Pierre), une d'Anna. Je vois, d'après ces lettres, que vous êtes un peu inquiets. Soyez tout-à-fait rassurés, je n'ai rien de rien, je me demande toujours pourquoi je suis à l'hôpital.
Quant aux résultats de mes démarches, rien encore, j'attends avec grande impatience. Le bataillon n'est pas encore parti, mais ça ne saurait tarder et je ne me vois pas vivant 40 jours dans une maison absolument close, alors que les camarades partent !
Rassurez-vous donc ! Si je tiens à partir, c'est que je n'ai rien car je sais à quelles fatigues et à quelles privations nous serons exposés là-bas. Je suis très heureux d'avoir reçu ces quelques mots de Pierre. Il y a bien un peu de tristesses, mais il vaut bien mieux qu'il sache la vérité.
Notre situation, stationnaire chez nous, n'est pas bien brillante aux Balkans. L'attitude de la Grèce s'est heureusement modifiée, mais elle n'est due qu'à un déploiement de forces des Alliés. Il nous faut à tout prix éviter des échecs là-bas, ou bien tout se lève contre nous. Par conséquent, envoyer sans cesse des hommes, jusqu'à ce que nous ayons là-bas une forte armée de 3 à 400000 hommes.
Pour cela il nous faut retirer des troupes du front, par contre coup envoyer la Classe 16 les remplacer et appeler la Classe 17 qui nous remplacera au dépôt.
Tout cela vaut une effrayante consommation d'hommes, qui amènera fatalement la paix, vers la fin de l'été prochain.
Courage et confiance quand même ! Je vous aime de tout mon être. Émile.
Écouter la lettre du 25 novembre 1915