Nous ne sommes plus ici pour bien longtemps, et, je t'assure, il me tarde de revoir notre cher midi, mon Béarn, mon petit pathelin.
Depuis le 10 avril, Emile Moureu est à Joinville-le-Pont, élève-aspirant à l'École d'Instruction Militaire des officiers. Ses lettres à sa soeur et à ses parents font le récit de son quotidien militaire et, lors des moments de loisir et de temps libre, de ses visites à Paris et ses environs.
Cher papa, chère maman, chère soeur,
J'ai reçu votre lettre si affectueuse, où je pourrais voir, si je ne le savais depuis toujours, que vous m'aimez tant.
La semaine dernière nous avons fait encore 3 jours de marche, et j'ai eu un peu mal aux pieds. Mais, c'est tout-à-fait guéri, et maintenant, à partir de demain, l'examen.
Nous ne sommes plus ici pour bien longtemps, et, je t'assure, il me tarde de revoir notre cher midi, mon Béarn, mon petit pathelin. C'est beau, Paris, c'est animé, on mène là une vraie vie faite d'activité, d'ardeur soit dans le travail, soit dans l'amusement. Mais, mon petit coin si tranquille, où les larges horizons reposent et calment d'un calme qui m'a paru ennuyeux parfois, et qui me semble aujourd'hui si doux, si désirable. Qui sait ? 8 jours, peut-être plus, me seront donnés pour me replonger tout entier dans ma vie d'autrefois, quelques jours, - qui passeraient trop vite - me seront donnés pour revenir vers le passé, afin de pouvoir me tourner vers l'avenir qui m'attend, vers cette vie, intense, parce que menacée, vie aux grandes fatigues, aux grandes émotions, vie de transition, de transition vers où ? Vers le grand repos peut-être, - mais, plutôt, vers la vie banale d'avant la guerre, vie où l'on mange à midi et où l'on se lève à sept heures !
C'est bizarre. Il me semble qu'à mon retour de la guerre, je ne pourrai plus m'habituer à cette vie en demi-teintes. Analyse cela, soeurette. Je me trompe d'ailleurs. Ce dont je suis sûr c'est que je vous aime, et qu'il me tarde de vous aimer plus près.
Tous mes baisers, mes cher aimés, Emile
Écouter la lettre du 15 août 1915