Oh ! Pouvoir revenir quelques jours sous ce beau soleil de chez nous, quitter ce sale pays brumeux et boueux !
Depuis le 6 décembre 1915, le sergent Émile Moureu et ses camarades du 14e d'Infanterie de Ligne sont en cantonnement à l'arrière du front dans le nord, à Brimeux, dans le Pas-de-Calais.
Vendredi, 7.
Cher papa,
Me voici de jour, aussi j'ai une heure bien tranquille devant moi, cet après-midi, et j'en profite pour faire quelques lettres.
Le colis annoncé n'est pas encore arrivé, et la dernière lettre reçue est une lettre d'Anna datée du 27. Mais j'espère tout recevoir bientôt.
Ici, toujours le même temps gris, avec des ondées continuelles. Hier, nous avons été en marche, il a plu tout le long de la route, et nous sommes rentrés transformés en canards. Aussi, nos bons petits soldats toussent à n'en plus finir, et les bronchites sont nombreuses.
Moi, je suis toujours très bien, et toujours pas bilard
. Heureusement, car ici, dans la zone des armées, à quelques kilomètres du feu, nous sommes embêtés et menés comme nous ne l'avons jamais été, même dans l'active (à en croire nos camarades réservistes). Et par qui ? Par des gagas
, de vieux bonshommes qui n'ont jamais mis un pied au front, et qui s'éclipseront au moment du départ. A titre d'exemple : tout sous-officier qui a fait la dépense d'un caoutchouc ne peut plus le porter. De même pour nos bottes en cuir.
C'est mesquin !
Mais nous laissons passer tranquillement le coup de vent, en haussant un peu les épaules.
Et là-bas, quoi de nouveau ? Anna me dit qu'il y fait un temps de printemps. Oh ! Pouvoir revenir quelques jours sous ce beau soleil de chez nous, quitter ce sale pays brumeux et boueux !
Comme je comprends la souffrance de mon cher frère, puisque moi, au bout de quelques jours à peine, je ressens si vivement toutes les émotions du lointain
sans fin certaine !
Adieu, cher papa, chère maman, soeurette, je vous embrasse comme si vous étiez là, Émile.
Écouter la lettre du 7 janvier1916