Ayez confiance, ...
Au mois de mars 1918, le 23e RI est toujours stationné dans les environs du village de Bauzemont, près d'Hénaménil (nord-est de la Meurthe-et-Moselle), au nord de Lunéville et à l'est de Nancy, près de l'étang de Parroy. Les premières lignes sont situées aux environs du village de Bures ; les lignes allemandes vers Parroy, à l'est de l'étang, et Réchicourt-la-Petite, plus au nord. C'est dans cet environnement qu'Emile reçoit enfin les galons de sous-lieutenant auxquels il était promis depuis le début de l'année, suite à sa formation à Saint-Cyr-l'Ecole en 1917. Après un début de mois à l'humeur légère, portée par la saison printanière et une promesse de permission en avril finalement repoussée, la fin du mois de mars cède à l'inquiétude. L'Allemagne a lancé le 21 mars L’offensive du Printemps
ou Kaiserschlacht
(bataille du Kaiser, ou offensive de Ludendorff) sur le front occidental, dans la Somme, l'Aisne et la Marne. Positionné sur le front de Lorraine, relativement calme, le 23e Régiment d'Infanterie d'Emile Moureu, n'est pas encore exposé aux combats les plus durs. Mais il flotte désormais dans ses lettres un sentiment tragique.
Chers aimés,
J'ai reçu la nuit dernière la bonne lettre de maman, si douce au cœur. Pierre a écrit une bonne lettre : tant mieux ! Vous voilà presque tranquilles à son sujet.
Pour ma part, quoiqu'en ligne, je suis assez tranquille. Par conséquent, pas d'inquiétudes prématurées !
L'heure est absolument tragique, et nous la vivons tous avec un peu d'angoisse. Nous qui avons vécu des heures terribles, nous nous représentons difficilement l'effroyable bataille. Vous autres, vous ne pouvez l'imaginer. J'ai grande confiance : malgré des avances partielles, les Boches ne crèveront pas le front. Mais ce doit être horrible : c'est un Verdun sur un front immense, et les hommes tombent, toutes les heures, par centaines et milliers. Dieu veuille qu'ils y laissent leur dernier homme dans notre terre, et quand notre tour viendra de nous défendre, le bras ni le cœur ne se fatigueront pas.
Chers aimés, je vous embrasse de tout mon cœur.
Ayez confiance,
Émile