Parlez-moi longuement de vous tous, de tout ce qui vous touche, car c'est dans certaines circonstances seules qu'on s'aperçoit combien chaque chose [...], vous tient à coeur.
Depuis le 20 septembre, le sergent Émile Moureu est cantonné à Grenade-sur-Garonne, avec l'ensemble des conscrits de la Classe 1916 affectés au 14e d'Infanterie de Ligne. Il y découvre la vie en garnison rythmée par les exercices militaires et de combat, dans l'attente impatiente autant qu'inquiète de l'annonce d'un prochain départ pour le front.
Je ne sais si vous avez reçu mes lettres. En tout cas, je vous dis à nouveau que je suis à Grenade avec la classe 16. Nous travaillons, c'est un peu la même vie qu'à Joinville, vie de camp où tout est cher et assez rare. Mais les hommes sont très gentils, très souples, et, malgré notre jeune âge, nous avons été très bien reçus par les autres sergents, nos aînés, qui ont tous été blessés au moins une fois.
J'ai rencontré ici beaucoup de jeunes gens du pays, Louis Pachebat en particulier, Moureu de près de Navarrenx. J'ai trinqué avec Louis, la veille de son départ de Grenade, car il est transféré dans l'artillerie à cause de ses varices.
A Sauveterre, quoi de nouveau ? Êtes-vous bien, papa, maman, soeurette ? Pierre a-t-il écrit ? Parlez-moi longuement de vous tous, de tout ce qui vous touche, car c'est dans certaines circonstances seules qu'on s'aperçoit combien chaque chose, chaque détail, pour petit qu'il soit, vous tient à coeur.
Je vous quitte, cher papa, chère maman, soeurette, en vous embrassant mille fois de tout coeur,
Émile.
Sergent Moureu
29ème Compagnie
Unité B
Grenade (Haute-Garonne).
Écouter la lettre du 5 octobre 1915