... et c'est avec un peu de mélancolie que je songe à ce que pourrait être ce même dimanche si c'était un dimanche de "chez nous".
Le 1er janvier, après une douzaine de jours de permission à Sauveterre-de-Béarn, Bordeaux et Paris, Emile rejoint son régiment stationné en Lorraine, dans le « pays de Jeanne la Pucelle », dans les villages de Einville, Valhey, Serres, Maixe et Bauzemont, en Meurthe-et-Moselle (près d'Hénaménil et de l'étang de Parroy, au nord de Lunéville et à l'est de Nancy). Les premiers jours, le retour aux armées est moralement pénible, la parenthèse des heures de bonheur en permission difficile à refermer. La dureté de l'hiver lorrain et les longues journées d'attente désoeuvrée entretiennent malgré lui Emile Moureu dans une humeur lourde et cafardeuse.
Chers aimés,
C'est dimanche, mais un dimanche du front neigeux et froid : de ma petite cagna enfumée, je regarde tomber en chutes pernicieuses les flocons endiablés : et c'est avec un peu de mélancolie que je songe à ce que pourrait être ce même dimanche si c'était un dimanche de "chez nous". Comme elle est évoquée la petite réunion familiale autour de la table ronde, dans la salle chaude; chaude de vraie chaleur et aussi d'affection ! Comme tout cela m'apparaît vivant ! La vieille bouteille de Bordeaux débouchée entre deux bouffées de havane, et encore et encore...! Je le vois trop et ne veux plus le voir !
Je n'ai rien reçu depuis la première lettre d'Anna : comme la poste est longue !
Ici, toujours calme, avec toujours les petits ennuis du métier, mais aussi toujours ma belle insouciance. Encore rien de nouveau au sujet de la proposition pour aucun des proposés : je commence à croire que c'est enterré ! Je ne m'y suis, il est vrai, jamais bien attaché. Henri et Pierre écrivent-ils ?
Adieu, chers aimés, je vous embrasse de tout cœur,
Émile.
Chers aimés,
Ma chère maman.
J'ai lu ta lettre de mardi, si pleine de tendresse, avec grand plaisir : mais, sais-tu bien, maman, que les nouvelles que tu me donnes me satisfont complètement. Tu avais besoin de repos, et ce repos, un peu forcé, tombe à pic. Je t'en prie, maman, repose-toi, soigne-toi, et surtout ne te crée pas des soucis inutiles : Pierre et moi, après la guerre, nous nous débrouillerons fort bien, car nous serons passés à une bonne école d'énergie. Chers aimés, reposez-vous de vos fatigues et profitez de ce que vous avez bien mérité. Sœurette, sois gardienne vigilante, et impose à maman quelques bonnes heures de chaise longue. Papa, continuera sans doute à travailler un peu à son commerce : qui sait ? Peut-être que plus tard je viendrai lui apporter ma force jeune, mais aussi mon inexpérience. Nous parlerons de tout cela plus tard, en tête-à-tête affectueux.
Chers aimés, j'ai froid au bout des doigts. Je vous embrasse très fort.
Émile.