Vrai ! Plutôt la mort, la belle mort d'un seul coup sur le champ de bataille. Mais cela ! Il vaut mieux ne pas y songer, ...
Depuis le 10 avril, Emile Moureu est à Joinville-le-Pont, élève-aspirant à l'École d'Instruction Militaire des officiers. Ses lettres à sa soeur et à ses parents font le récit de son quotidien militaire et, lors des moments de loisir et de temps libre, de ses visites à Paris et ses environs.
Samedi, 17.
Bien chère maman,
Je viens de recevoir votre lettre, et c'est sur l'impression triste qu'elle m'a laissé, que j'y réponds.
Je sens qu'à la maison, on est plutôt triste, et en effet la nouvelle des affreuses blessures subies par ce pauvre St Jean, est de nature à attrister et à décourager. Vrai ! Plutôt la mort, la belle mort d'un seul coup sur le champ de bataille. Mais cela ! Il vaut mieux ne pas y songer, et heureusement pour nous, ces images sont vite chassées.
Quand à Pierre, maman, je suis de ton avis. Sûrement, une épidémie a frappé son camp, et ce pourrait bien être la scarlatine, d'après ce que je vois chez nous, et d'après les vagues renseignements qu'il donne : Il faut en effet d'abord 40 jours de lit, et ensuite de la convalescence pour s'en rétablir. Rassure-toi, d'ailleurs, puisqu'il commence à se rétablir. Les forces reviennent lentement, mais elles reviennent. J'ai quelques camarades qui l'ont eu tout au début, et qui sont revenus de l'hôpital il y a quelques jours à peine, encore bien faibles !
Ici, la vie continue normale, et les jours coulent, parfois très rapidement, longuement d'autres fois. On vient de nous lire officiellement que l'examen commencera le 16 août, et que d'après les notes de l'examen, on sortira ou aspirant, ou simple soldat. La perspective est douce pour les 50 ou 60 % qui rejoindront le dépôt en qualité de simple soldat. Mais, on ne s'en fait pas pour si peu. Si on n'a pas de galons, la responsabilité sera moins grande. On ne devra veiller qu'à sa peau, et non à la peau de cinquante poilus qui ont déjà 5 ou 6 mois de tranchées. On parle aussi de 8 jours donnés après l'examen pour aller chez soi. C'est le meilleur de l'affaire, et il me tarde.
Adieu, chère maman, papa, soeurette, mes meilleurs baisers de fils aimant et dévoué, Emile.
Écouter la lettre du 17 juillet 1915