Hier, jour du 14, j'ai accompli mes dix-neuf ans, et j'ai fêté ce délicieux anniversaire dans le grand Paris.
Depuis le 10 avril, Emile Moureu est à Joinville-le-Pont, élève-aspirant à l'École d'Instruction Militaire des officiers. Ses lettres à sa soeur et à ses parents font le récit de son quotidien militaire et, lors des moments de loisir et de temps libre, de ses visites à Paris et ses environs.
Jeudi, 15 Juillet.
Chère maman, cher papa, chère soeur,
Je voulais vous écrire plus tôt à l'occasion de mon anniversaire, mais il a fallu partir en marche ce matin, et ce n'est qu'au retour que je puis le faire.
Hier, jour du 14, j'ai accompli mes dix-neuf ans, et j'ai fêté ce délicieux anniversaire dans le grand Paris.
Programme : Départ de bonne heure à Paris, après un det bain matinal dans la gentille rivière qu'est la Marne. Ensuite, spectacle du Paris mouvementé, et comme parcouru tout entier par un frisson patriotique. -Vue, un peu imparfaite forcément, du magnifique défilé de toutes nos autorités de l'Étoile aux Invalides.
Déjeuner exquis chez Mmes Elissabaratz, et j'y ai fait honneur après mon bain. Plats innombrables, je me souviens en particulier d'un certains gigot sur lequel j'ai exercé mon excellent appétit, et enfin un excellent champagne aux émoustillantes vapeurs. Puis, rendez-vous avec des camarades, théâtre, souper au Boulevard St-Michel, tous très gais, et délicieuse nuit dans mon lit de soldat, et j'ai rêvé que j'étais dans mon grand lit, là-bas, comme l'année dernière, avec des bourdonnements de musique dans l'oreille, après un bal sur la place des Tilleuls. Mais non, cette année, - qui l'aurait cru! - mes 19 ans c'est dans l'Ile de France que je les ai accomplis, dans ce joli pays qui ne est pas ressemble pas du tout à notre Béarn, mais qui est joli d'un autre joli : très plat, très vert, et semés au hasard, partout de gentils bouquets d'arbres et de beaux étangs aux eaux bleues et perdus dans le magnifique bois de Vincennes qui s'étend à l'infini. Mais, ne crains rien, soeurette, l'image de notre pays est quand même la plus aimée, car dans cette image, vous y êtes.
Je vous aime. Emile.
Écouter la lettre du 15 juillet 1915