Avez-vous vu notre beau succès ? Très beau, mais très cher, et malheureusement arrêté.
Depuis le 20 septembre, le sergent Émile Moureu est cantonné à Grenade-sur-Garonne, avec l'ensemble des conscrits de la Classe 1916 affectés au 14e d'Infanterie de Ligne. Il y découvre la vie en garnison rythmée par les exercices militaires et de combat, dans l'attente impatiente autant qu'inquiète de l'annonce d'un prochain départ pour le front.
Chère maman,
je me hâte de t'écrire, parce qu'enfin, après plusieurs jours d'attente, je viens de recevoir quatre lettres à la fois, 2 des tiennes, 1 de Jeanne Elissabaratz et une autre de tante Marie.
Après de multiples recherches, je les ai découverte dans un bureau du 83e. Il n'y a pas que le 14e à Grenade, il y a aussi le 83e. Aussi mettez bien en évidence "14 de ligne".
Peut-être que papa a vu mercredi à Navarrenx Moureu de Bastanès, et alors, vous aurez eu des nouvelles de vive voix.
Rassurez-vous pour, le moment, le renfort vient de partir, et il est parti sans moi. J'ai même un peu regretté, parce que c'était un renfort pour le 417e, un régiment de marche, bien mieux côté que le 14e.
Pauvre Paul ! Un bien brave garçon de moins. Je vous prie de dire à sa mère que je prends une part très vive à sa douleur. Jeanne E. m'a écrit une lettre pleine de gentillesse et d'affection, malgré le travail intense qu'elle a. Je lui répondrai un de ces jours. Quand vous répondrez à Pierre, transmettez-lui tout le meilleur de ma grande affection. Avez-vous vu notre beau succès ? Très beau, mais très cher, et malheureusement arrêté. Au printemps prochain, ou recommencera, et alors nous y serons.
Adieu, chère maman, cher papa, soeurette, je vous embrasse de tout coeur.
Émile.
Les aspirants sont tous partis au front !
P.S : J'ai reçu, merci - Voici mon adresse : Sergent Moureu, 14e de ligne, 29e compagnie, unité B, Grenade (Haute-Garonne)
Écouter la lettre du 9 octobre 1915