Et, toi, sœurette, que deviens-tu ? C'est toujours en toi, n'est-ce pas que se niche toute la joie de la maison.
Depuis le 12 mars 1916, le régiment d'Émile est cantonné à Chaumont-en-Vexin (Oise), à proximité de Paris. En réserve du front de Verdun ouvert le 21 février par une grande attaque allemande, il attend de monter, contingent par contingent, vers les premières lignes.
8 mai, 1916.
Sœurette,
Beaucoup de papier, mais peu de temps pour le remplir. N'importe, ces quelques minutes seront tellement bien employées que j'aurais envoyé là-bas au nid adoré, un peu de moi, un peu de la chaleur de mon cœur. Un peu mélancolique, ces jours-ci, en songeant aux camarades et aux pays qui sont chez eux, choyés et dorlotés, et moi qui reste ici, avec une perspective de départ pour chez moi bien lointaine, mais bien prochaine pour ailleurs. Je m'arrangerai d'ailleurs de mon mieux une fois parti, pour avoir vite une permission.
Et, toi, sœurette, que deviens-tu ? C'est toujours en toi, n'est-ce pas que se niche toute la joie de la maison. Et avec les belles soirées qui reviennent, as-tu recommencé avec papa et maman les belles promenades nocturnes, la halte obligatoire au banc des Tilleuls ! C'est si loin et ça me parait si près ! Et les deux sous de bonbons ? Oh ! Ces bon souvenirs que, plus lointains, l'on chérit d'avantage. J'ai reçu une longue lettre de Melle Higué.
Tu les remercieras, en attendant que je leur écrive. Avez-vous d'autres nouvelles de mon cher aîné ?
Adieu, sœurette, embrasse papa et maman pour moi, je te donne ma part de calabres et beaucoup de baisers,
Émile.
Écouter la lettre du 08 mai 1916