Enfin [...] on s'habitue à cette vie, et je songe parfois, que dans un mois d'ici, j'aurais dix-neuf ans, et je serais bien près de les étrenner sous un beau feu d'artifice.
Depuis le 10 avril, Emile Moureu est à Joinville-le-Pont, élève-aspirant à l'École d'Instruction Militaire des officiers. Ses lettres à sa soeur et à ses parents font le récit de son quotidien militaire et, lors des moments de loisir et de temps libre, de ses visites à Paris et ses environs.
Cher papa,
Je ne réponds qu'aujourd'hui à la fois à la lettre d'Anna et de maman. Avez-vous reçu ma lettre ?
Hier, dimanche, j'ai été à Paris, et j'ai été à la fois à la rue Dalou et, enfin, à la rue Gustave-Flaubert. Tante a dû hier vous écrire. Je l'ai trouvé très bien, mais seulement le petit Louis venait de partir. Elle n'est pas bien malheureuse, d'ailleurs, puisque Clément est encore à Poitiers, et artilleur ! Or maintenant que je puis en juger réellement, dans la guerre actuelle, c'est le fantassin qui trinque, qui fatigue, et qui vainct. On peut être fier de l'être, et on l'est !
Mesdames Elissabarats m'avaient préparé un petit dîner soigné, mijoté : j'y suis reçu on ne peut mieux, et toujours invité dès le début de la semaine.
La prochaine fois que j'irai à Paris, j'ai promis d'aller dîner chez Tante. Vous voyez, on se dispute votre jeune soldat.
Je n'ai pas encore reçu votre colis.
A Sauveterre, quoi de nouveau ? Parlez -moi de tout ce qui peut m'intéresser. Je confie cette mission à ma "gazette". Ici, tout marche, temps, jambes, et le reste. Et de plus en plus, avec ce temps superbe on sue, mais on sue !
Enfin, de plus en plus, on s'habitue à cette vie, et je songe parfois, que dans un mois d'ici, j'aurais dix-neuf ans, et je serais bien près de les étrenner sous un beau feu d'artifice. C'est charmant, pareil spectacle, à dix-neuf ans, - et quel retour !
Je vous quitte, papa, maman, Anna, en vous embrassant tous de tout coeur. Emile.
Écouter la lettre du 14 juin 1915